12

 

L’annonce de l’inspecteur Lord fut accueillie par miss Peake avec un rire joyeux.

— Dites donc, voilà qui est mystérieux. Je m’amuse bien ! s’exclama-t-elle, ravie.

L’inspecteur fronça les sourcils.

— Cela concerne Mr Costello, expliqua-t-il. Mr Oliver Costello du 27, Morgan Mansions, Londres SW3. Je crois que c’est dans le quartier de Chelsea.

— Jamais entendu parler, fut la réponse de miss Peake, exprimée avec vigueur.

— Il est venu ici ce soir, rendre visite à Mrs Hailsham-Brown, lui rappela l’inspecteur Lord, et je crois que vous l’avez raccompagné par le jardin.

Miss Peake se frappa la cuisse.

— Oh, cet homme ! se souvint-elle. Mrs Hailsham-Brown m’a donné son nom, en effet. (Elle considéra l’inspecteur avec un peu plus d’intérêt.) Oui, que voulez-vous savoir ?

— J’aimerais savoir, lui dit l’inspecteur d’une voix lente et posée, ce qui s’est passé exactement, et quand vous l’avez vu pour la dernière fois.

Miss Peake réfléchit un moment avant de répondre.

— Voyons, dit-elle. Nous sommes sortis par la porte-fenêtre, et je lui ai dit qu’il y avait un raccourci s’il voulait prendre le car, et il m’a dit que non, qu’il était venu en voiture, et qu’il l’avait laissée près des écuries.

Elle adressa un sourire rayonnant à l’inspecteur Lord comme si elle s’attendait à être félicitée pour son résumé succinct de ce qui s’était passé, mais il se contenta de prendre un air pensif et commenta :

— Est-ce que ce n’est pas un drôle d’endroit pour laisser sa voiture ?

— C’est exactement ce que je me suis dit, reconnut miss Peake en donnant une claque sur le bras de l’inspecteur.

Il eut l’air surpris de ce geste, mais elle continua :

— On aurait cru qu’il l’amènerait jusque devant la porte, pas vrai ? Mais les gens sont si bizarres. On ne sait jamais ce qu’ils vont faire.

Elle partit d’un grand éclat de rire.

— Et ensuite, que s’est-il passé ? demanda l’inspecteur.

Miss Peake haussa les épaules.

— Eh bien, il est allé vers sa voiture, et je suppose qu’il est parti.

— Vous ne l’avez pas vu partir ?

— Non, je rangeais mes outils.

— Et c’est la dernière fois que vous l’avez vu ? demanda l’inspecteur Lord en accentuant ses mots.

— Oui, pourquoi ?

— Parce que sa voiture est toujours là, dit l’inspecteur. (D’une voix lente et énergique, il continua :) Un appel téléphonique a été passé au poste de police à 19 h 49, disant qu’un homme avait été assassiné à Copplestone Court.

Miss Peake eut l’air horrifié.

— Assassiné ? s’exclama-t-elle. Ici ? Ridicule !

— C’est ce que tout le monde a l’air de penser, observa sèchement l’inspecteur, avec un regard significatif à sir Rowland.

— Bien sûr, continua miss Peake, je sais qu’il y a tous ces maniaques dans la nature, qui attaquent les femmes mais vous dites qu’un homme a été assassiné…

L’inspecteur Lord la coupa.

— Vous n’avez pas entendu d’autre voiture ce soir ? demanda-t-il avec brusquerie.

— Seulement celle de Mr Hailsham-Brown, répondit-elle.

— Mr Hailsham-Brown ? interrogea l’inspecteur Lord en haussant les sourcils. Je croyais qu’on ne l’attendait pas avant tard ce soir.

Son regard se braqua sur Clarissa, qui se hâta d’expliquer :

— Mon mari est rentré, en effet, mais il a dû repartir presque tout de suite.

L’inspecteur Lord prit une expression de patience délibérée.

— Ah, vraiment ? commenta-t-il d’un ton de politesse étudiée. Quand est-il rentré, exactement ?

— Voyons… se mit à bredouiller Clarissa. Il devait être environ…

— C’était environ un quart d’heure avant la fin de mon service, intervint miss Peake. Je fais beaucoup d’heures supplémentaires, inspecteur. Je ne m’en tiens jamais à l’horaire réglementaire. Faites votre travail de tout votre cœur, voilà ce que je dis, continua-t-elle en frappant la table de son poing. Oui, il devait être environ 19 h 15 quand Mr Hailsham-Brown est rentré.

— C’était donc peu de temps après le départ de Mr Costello, remarqua l’inspecteur.

Il alla se placer au centre de la pièce, et son attitude changea presque imperceptiblement lorsqu’il reprit :

— Mr Hailsham-Brown et lui se sont sans doute croisés.

— Vous voulez dire, déclara pensivement miss Peake, qu’il est peut-être revenu pour voir Mr Hailsham-Brown.

— Oliver Costello n’est certainement pas revenu à la maison, intervint sèchement Clarissa.

— Mais vous ne pouvez pas en être sûre, Mrs Hailsham-Brown, la contredit la jardinière. Il a pu entrer par cette porte-fenêtre sans que vous en sachiez rien. (Elle marqua une pause, puis s’exclama :) Mince alors ! Vous ne croyez pas qu’il a assassiné Mr Hailsham-Brown, quand même ? Oh, excusez-moi !

— Bien sûr qu’il n’a pas assassiné Henry, répliqua Clarissa, irritée.

— Où est allé votre mari en partant d’ici ? lui demanda l’inspecteur.

— Aucune idée, répondit sèchement Clarissa.

— Est-ce qu’il ne vous dit pas où il va, habituellement ? persista l’inspecteur Lord.

— Je ne pose jamais de questions, lui dit Clarissa. Je crois que ça doit être vraiment ennuyeux pour un homme si sa femme lui pose tout le temps des questions.

Miss Peake poussa soudain un cri perçant.

— Mais que je suis stupide ! cria-t-elle. Évidemment, si la voiture de cet homme est toujours là, alors ça doit être lui qui a été assassiné !

Elle partit d’un rire tonitruant.

Sir Rowland se leva.

— Nous n’avons aucune raison de croire que quiconque a été assassiné, miss Peake, sermonna-t-il dignement. En fait, l’inspecteur pense qu’il s’agissait d’une blague stupide.

Miss Peake n’était visiblement pas de cet avis.

— Mais la voiture, insista-t-elle. Je crois vraiment que la présence de cette voiture est très suspecte.

Elle se leva et s’approcha de l’inspecteur.

— Avez-vous cherché le corps, inspecteur ? lui demanda-t-elle avidement.

— L’inspecteur a déjà fouillé la maison, répondit sir Rowland avant que l’officier de police n’ait eu le temps de parler.

Il fut gratifié d’un regard aigu par l’inspecteur, dont miss Peake était maintenant occupée à tapoter l’épaule tout en continuant d’exprimer son point de vue.

— Je suis sûre que ces Elgin sont mêlés à cette histoire, le majordome et sa femme, qui se prétend cuisinière. Je les soupçonne depuis un bon moment. J’ai vu de la lumière à la fenêtre de leur chambre en venant ici à l’instant. Et c’est déjà suspect en soi. C’est leur soirée de congé, et ils ne rentrent généralement que bien après 23 heures. (Elle agrippa le bras de l’inspecteur.) Avez-vous fouillé leurs appartements ? lui demanda-t-elle d’un ton pressant.

L’inspecteur Lord ouvrit la bouche pour répondre, mais elle l’interrompit d’une autre tape sur l’épaule.

— Écoutez-moi bien. Supposons que ce Mr Costello ait reconnu Elgin comme étant un homme au passé criminel. Costello a peut-être décidé de revenir et d’avertir Mrs Hailsham-Brown de se méfier de cet homme, et Elgin l’a agressé.

L’air extrêmement satisfaite d’elle-même, elle lança un regard circulaire à l’assistance, et continua :

— Ensuite, bien sûr, Elgin a dû rapidement cacher le corps quelque part, afin de pouvoir s’en débarrasser plus tard dans la soirée. Bon, où l’aurait-il caché, je me demande ? s’enquit-elle de façon purement rhétorique, s’échauffant à mesure qu’elle développait sa thèse. (Avec un geste vers la porte-fenêtre, elle continua :) Derrière un rideau ou…

Elle fut interrompue par Clarissa qui la coupa avec colère.

— Oh, franchement, miss Peake ! Il n’y a personne caché derrière les rideaux. Et je suis sûre qu’Elgin n’irait jamais assassiner personne. C’est complètement ridicule.

Miss Peake se retourna.

— Vous êtes si naïve, Mrs Hailsham-Brown, la sermonna-t-elle. Quand vous aurez mon âge, vous vous rendrez compte que, très souvent, les gens ne sont pas du tout ce qu’ils paraissent être.

Elle rit de bon cœur et se retourna vers l’inspecteur.

Comme il ouvrait la bouche pour parler, elle lui donna une nouvelle tape sur l’épaule.

— Bon, continua-t-elle, alors où un homme comme Elgin cacherait-il le corps ? Il y a cette espèce de placard entre cette pièce et la bibliothèque. Vous avez regardé dedans, je suppose ?

Sir Rowland se hâta d’intervenir :

— Miss Peake, l’inspecteur a regardé à la fois ici et dans la bibliothèque.

L’inspecteur Lord, cependant, après un regard appuyé sur sir Rowland, se tourna vers la jardinière.

— Qu’entendez-vous exactement par « cette espèce de placard », miss Peake ?

Les autres personnes présentes dans la pièce eurent toutes l’air plus que tendu tandis que miss Peake répondait :

— Oh, c’est un endroit merveilleux pour jouer à cache-cache ! Vous n’iriez jamais songer qu’il se trouve là. Laissez-moi vous le montrer.

Elle alla vers le panneau, suivie par l’inspecteur Lord. Jeremy se leva, et au même instant, Clarissa s’exclama avec force :

— Non !

L’inspecteur et miss Peake se retournèrent tous les deux pour la regarder.

— Il n’y a rien dedans, les informa Clarissa. Je le sais parce que je suis passée par là, pour aller dans la bibliothèque, il y a un instant.

Sa voix s’éteignit dans un murmure. Miss Peake, l’air déçu, murmura : « Ah bon, dans ce cas… » et se détourna du panneau. L’inspecteur, cependant, la rappela :

— Montrez-moi quand même, miss Peake. J’aimerais le voir.

Cette dernière s’approcha des étagères.

— C’était une porte, à l’origine, expliqua-t-elle. Elle correspondait à l’autre, là. (Elle actionna le levier, tout en expliquant :) Vous tirez là-dessus, et la porte s’ouvre. Vous voyez ?

Le panneau s’ouvrit, et le cadavre d’Oliver Costello s’effondra et tomba en avant. Miss Peake poussa un hurlement.

— Alors, remarqua l’inspecteur Lord en regardant Clarissa d’un air sévère, vous vous êtes trompée, Mrs Hailsham-Brown. Il semblerait qu’il y ait bien eu un meurtre ici, ce soir.

Le hurlement de miss Peake devint suraigu.

La toile d'araignée
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